Transcription :
Denis Joyner, radio mobile de l'AMO
Genre, ouah, je déboule juste des sierras ce soir, et je suis emballé par la charmante Apan Valley, cool. Je sais pas à quoi ça tiens, mais le littoral californien - peut-être que cet océan littéralement pacifique m'envoie ses ondes - à chaque fois que mon itinéraire mirifique passe par là, je suis envahi d'une sensation absolument fabuleuse de douceur cosmique. Au lieu de ma rogne habituelle, me voilà aux anges, joyeux comme une déesse. Du coup, je suis presque tenté de troquer mon vieux van tout bringueballant contre une Mercedes ; vas-y, peut-être m'installer un jacuzzi dans la cave à vin. Viva est magnum, mama, surtout quand c'est toi qui tiens le magnum, mais je me dis que si tu veux vraiment faire la course avec les autres minables, tu as intérêt à avoir une caisse confortable.
Tu sais à qui je m'adresse si c'est pas à mes fesses, en cette douce soirée d'avril. Oui vraiment, je vous le dis, c'est plus qu'un hobby, un peu que tu sais pas pourquoi. Bah je vais te dire : un esprit, aussi parfait soit-il, ne vaudra jamais deux esprits, aussi imparfaits soient-ils.
Retourne un peu ça dans ta cervelle, pendant que je rappelle le nom de la station, pourtant je sais que dalle, madame Hibou, hou-hou es tu ? Je peux quand même te dire que c'est la Radio Mobile de l'AMO FM, saucisse, entre le double un et le double six, et roulent les dés, moi je roule avec, je file à ta rencontre, je fonce défoncé, fait comme un rat, le scélérat vers sa fée. Oui ! C'est le redoutable DJ, et ce soir, il se dédouble : Déconnant Joueur et aussi Diarrhée Joufflue. Donc si tu sais pas si c'est de l'art, mon cochon, hé, reste avec moi et kiffe. Et si ça te plaît pas, ce que tu entends, appelle le shérif. Appelle toute la bande, pour ce que j'en ai à faire. Passe donc un coup de bigot au Conseil de surveillance des ondes, tant que tu y es. Appelle la Garde nationale, l'armée de l'air, bonhomme, et quiconque capable de sauver ta triste pomme. Mais quoi que tu fasses, reste dans la danse, surtout change pas de fréquence, OK, parce que je viens juste de mater l'heure, Mickey a les deux bras en l'air, direction la lune, ce qui veux dire qu'il est l'heure de te mettre au pieu avec une histoire. Parée ? Pelotonne-toi, veux-tu, pendant que je m'allume une pipe de beuh-qui-tue, histoire d'adoucir ma gorge dorée.
Ahhhhhhh. Ça va déjà mieux. Tu es prête ? Bien L'histoire s'intitule " Le serpent ". Et avant de commencer, je m'arrête, que les chose soit claires, le serpent de cette histoire n'est pas un symbole. Ce n'est pas un phallus. C'est pas le Serpent Tentateur, le Dragon Sans Ailes de l'Indicible Malfaisant, le Lasso du Diable, ni une métaphore emblématique d'autre chose que d'elle même. Le serpent de cette histoire est un serpent jarretière, une couleuvre à rayures claires, un petit membre vivipare inoffensif de la famille des thamnophis. Une créature répertoriée dans la catégorie des reptiles. Une discrète expression de l'être. Une vie.
LE SERPENT
Je rendais visite à des amies sur la côte de Californie du Nord, deux femmes que je connaissais depuis le lycée, Nell et Ivy. C'était à peu près à cette époque de l'année.
Comme je ne supporte pas de cultiver quoi que ce soit, hormis les mauvaises habitude, on m'avait confié la mission d'éplucher les pommes de terre. J'étais en train de rincer les patates dans l'évier de la cuisine quand Nell et Ivy sont arrivées en trombe par la porte moustiquaire, manifestement tourneboulées, chacune tenant à la main une moitié de serpent toute gesticulante. L'une des deux femmes avait accidentellement coupé le reptile avec sa binette.
Elles ont posé sur la table les deux morceaux de serpent qui se tortillaient. Ivy a regarder Nell.
_Qu'est-ce que tu en dis ?
Sa voix était tendue, comme quand on arrive aux abord d'un sale accident de voiture.
_Je ne pense pas qu'on puisse lui recoudre les entrailles, a dit Nell.
Angoissées, inquiètes, elles ont observé les deux bout qui se contorsionnaient sur la table, et c'est tout juste si elles m'ont vue quand je les ai rejointes pour regarder à mon tour. Ce n'était pas beau à voir.
_Et si on utilisé un ruban adhésif, suggérât Ivy.
_Pourquoi pas ? répondit Nell. On peut toujours essayer. Il se régénérera peut-être.
_Les serpent ne se régénèrent pas, leur ai-je dit.
Je suis quelqu'un de réaliste. Normalement, Nell et Ivy aussi sont réalistes.
_Celui-la se régénérera peut-être, a dit Nell, à la fois en colère, provocante, pleine d'espoir et triste.
Elles ont utilisé du gros adhésif noir brillant d'électricien. J'ai aidé, en tenant la moitié supérieure en place pendant qu'Ivy scotchait soigneusement.
Nous avons déposé le serpent dans une jardinière à l'ombre d'un séquoia pour qu'il se ravigote. J'ai promis de regarder périodiquement, comme ça elles n'auraient pas à refaire tout le trajet à pied depuis le jardin.
Quand je suis partie une demi-heure plus tard, le serpent était mort.
C'est une histoire vraie, m'sieurs dames. Je la dédie à tous les réalistes parmi vous, pour rappeler que certains gestes transcendent l'échec. J'ai enterré le serpent dans la jardinière, ça a fait de l'engrais pour les fleurs. Parce que si vous expiré jusqu'à la limite, si vous franchissez le col de montagne au clair de lune en dansant avec vos spectre, si vous lancez votre cœur dans la forge et votre âme à la rivière, vous sentirez que la pierre est une fontaine vivante qui se dissout et se coagule, se fractionne et s'unit ; ensuite vous pourrez imaginer ce serpent dans les hautes herbes printanières, telle la vision fugitive et fantôme d'une flamme, et vous pourrez la suivre si vous êtes assez courageux, assez fous, dingues, désespérés, culottés, assoiffés, stupides. Entrez dans vos blessures. Guérissez. Échappez-vous.
Et une fois que vous aurez larguez les amarres, rejoignez-moi. Je vous retrouverai sur la tombe de Jim Bridger, dès que vous pourrez vous y rendre. Nous ferons de la musique qu'on ne peut pas entendre quand on est seul, célébrons la beauté qui est à naître, nous prendrons le putain de Diable par les cornes et lutterons jusqu'à le terrasser. Nous tirerons des plans sur la comète, mon coeur. Nous valserons dans le cimetière au clair de lune, comme des Dieux déchus, nous serons dévoilés, nue comme des vers, et chacun baisera les cicatrices de l'autre.
En attendant, mon invisible amie, le Dream Jockey te souhaite la plus douce des nuits. Continue à faire de beaux rêves.
Stone Junction de Jim Dodge